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20/10/2008

Parcours d'obstacles nocturne

Pour la fameuse nuit du destin quelques jours avant la fin du Ramadan, tout le centre-ville a carrément été bouclé pendant plusieurs heures. De toutes façons, impossible de circuler, même pour un piéton. Ce soir-là, je me retrouve ainsi littéralement à la rue, sans moyen de pouvoir rentrer chez moi jusqu’à la fin de la prière, même par la petite rue transversale qui permet habituellement d’éviter la masse des prieurs et de couper jusqu’à mon immeuble. Un peu désemparée, et décidée à ne pas passer plusieurs heures de la nuit dehors, je me dis qu’il faut absolument que je tente quelque chose pour rentrer chez moi mais le passage est barré partout par des rangées d’hommes recueillis. Soudain, un barbu vient déranger un jeune garçon peu concentré dans le rang pour entrer dans la petite rue transversale. Profitant de la faille, je le suis, et je peux ainsi avancer par un étroit passage laissé miraculeusement vide par les prieurs jusqu’à l’intersection suivante. Hélas, à cet endroit il n’y a même plus un centimètre carré de libre pour se frayer un chemin alors que je suis juste derrière mon immeuble. Deux enfants me voient et viennent s’enquérir de ce que je peux bien faire là. Je leur dis que je veux juste rentrer chez moi, que j’habite cet immeuble qu’on peut toucher du doigt… Ils m’aident alors, bousculant les gens pour avancer. Pour mon bien, mieux vaut que cela soit eux que moi ! Je me contente de me faire toute petite et de suivre, chaussures à la main pour fouler pieds nus tous les tapis de prières qui recouvrent le sol. Puis soudain le piège se referme sur nous, alors que les prieurs étaient jusque là debout les yeux clos, ils se mettent à s’accroupir, occupant tout l’espace au sol. Sans autre alternative, je saute sur la pointe des pieds par-dessus les dos des fidèles et je parviens à atteindre l’épicerie en bas de chez moi et à m’y réfugier. Là, le vieil épicier père est à son poste, il me dit bonjour comme si de rien n’était, deux femmes sont en train de prier dans un coin de l’épicerie et les deux adolescents un peu lourds qui travaillent ici s’empressent de me faire la conversation. Au moins ils m’apprennent que la fin de la prière est proche. Ouf, je n’aurai pas à attendre une heure dans l’épicerie car même si je suis à quelques mètres de mon entrée, impossible de passer, on n’est sur la rue de la mosquée qui sert de théâtre aux événements et la densité humaine est incroyable. Le plus absurde est que dès que la prière est finie, le vieil épicier appelle immédiatement Ashraf (l’employé le plus compétent de cette modeste entreprise) pour venir me servir… Comme si j’étais descendue faire mes courses, comme si de rien n’était, à 2 heures du matin en pleine prière de la Nuit du Destin ! Non merci beaucoup je veux rien, juste rentrer chez moi. Du coup, et par chance, Ashraf m’aide tout de même à franchir les quelques mètres qui nous séparent de ma porte… Car quand une foule d’hommes se relève simultanément et se dirige dans tous les sens et nous à contre-courant, c’est encore pire que quand ils sont tranquillement alignés et silencieux… Alors le serviable Ashraf se fraye un passage pour nous deux jusqu’à atteindre la porte. Là, seconde surprise, même à l’intérieur de l’immeuble, il y a des hommes qui s’étaient installés pour prier, occupant tout le hall d’immeuble jusqu’aux ascenseurs !! L’année précédente je n’avais vu que 2 ou 3 rangées près de la porte d’entrée… Chaque année plus nombreux que je disais.


Revoir les photos de Guirémi de la Nuit du Destin 2006

23/09/2008

Cheikh super star

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Comme à chaque Ramadan, je parle de la prière à la Mosquée Ibrahim mais il faut dire que c’est une expérience assez « traumatisante » d’avoir tous les soirs des centaines de milliers de personnes alignées devant chez soi et dans tout le quartier. Comme chaque année, on a battu les records d’affluence. On a ainsi vu cette année des femmes venir se poster sur les tapis de prière aux premières loges de la mosquée dès avant l’heure de l’Iftar, emportant avec elle leurs boissons et leur doggy-bag pour la rupture du jeûne, histoire d’être sûre de réserver leur place… C’est vrai que l’espace pour les femmes aménagées dans la rue derrière des tentures est assez limité par rapport à celui des hommes – qui peuvent se mettre n’importe où dans la rue – mais quand même… En Europe il y a ceux qui campent devant le stade avant les concerts de Madonna. Ici il y a ceux qui rompent le jeûne sur le pouce devant la mosquée pour être sûrs d’avoir une bonne place pour la prière menée par Cheikh Hatem… Cette année, j’ai acheté son CD de récitation du Coran « Cheikh Hatem Ramadan 2007 » (sic) à l’un des nombreux vendeurs ambulants qui profitent de la manne pour vendre toutes sortes d’objets religieux. Comme ça au moins je sais que l’année prochaine il me suffira d’entendre résonner la mélodieuse voix de Cheikh Hatem d’un lecteur de CD n’importe où dans le monde pour me croire à Alexandrie, à deux immeubles de la Mosquée Ibrahim, 10ème étage.

12/10/2007

Post-scriptum

Récemment un ami égyptien m’a fourni une explication à l’afflux impressionnant de prieurs dans ma rue les soirs et les nuits du mois de Ramadan (jusqu’à 10000 personnes cette année paraît-il). Je savais déjà que le cheikh Hatem était populaire pour la beauté de sa voix mais les gens viennent aussi ici car ils y trouvent un son proche du « son de la Mecque », qui est imité par une savante installation de sonorisation assortie de haut-parleurs tous les 10m dans la rue. J’ai ressenti ce qu’il voulait dire par « son de la Mecque » qui paraît venir directement du ciel quand je me suis retrouvée un soir dans ma chambre silencieuse et que la voix de cheikh Hatem, à la fois douce et puissante a retentie et a emplie de son écho toute l’atmosphère. Les gens viennent pour ce « show » qui les transporte en terre sainte le temps d’une prière… Comme toujours le sacré ne tient pas à grand-chose….

15/04/2007

Rituels

Il y a des choses qui font tellement partie de mon quotidien égyptien qu’elles ne m’étonnent plus du tout… C’est Justine, la nouvelle stagiaire française qui me fait me remémorer que ces choses m’étonnaient moi aussi… au début. C’est surtout les rites religieux qui ponctuent tellement le quotidien, - même au travail, surtout au travail !- à tel point que l’on ne s’en rend même plus compte avec le temps. Ca commence par les récitations du Coran (enregistrées) qui retentissent dès le matin et traînent leur chant lancinant pendant une bonne demi-heure, écoutées par un voisin de bureau. Puis les prières collectives, sur un tapis de fortune (une sorte de chute de moquette grise) installé dans un coin à côté de la photocopieuse, où les hommes accomplissent à intervalle régulier leur devoir religieux, tout seul ou en groupe. Les filles elles, se mettent dans un autre couloir, plus étroit et retiré, et caché à la vue de tous (il serait indécent que les hommes les voient le cul en l’air quand elles se penchent en avant le front sur le sol pour prier). Et cela s’accompagne de tout un rituel, elles emmènent leur petit tapis de prière, leur « attirail » de prière pour les non-voilées, se prêtent leur tapis entre elles, viennent se chercher… Le plus gênant pour moi, c’est les ablutions qui ont le défaut d’encombrer sérieusement les toilettes féminines, pourvues seulement de 2 toilettes et d’un lavabo pour tout l’étage… Alors c’est l’embouteillage quand il y a la queue à l’heure de la prière ! Chacune se mouille plus ou moins soigneusement ou à la va-vite la tête, le nez, la bouche, les oreilles, les mains, les avant-bras et les pieds. Et là je dois reconnaître que certaines choses m’étonnent encore, même après les avoir vues des dizaines de fois, comme quand certaines (enfin la plupart) se mouillent très symboliquement les pieds, par-dessus leur chaussettes…

31/01/2007

L'une voilée, l'autre pas (2)

Hanaa s’est mariée le premier jour de l’aïd, a bien profité de sa lune de miel, puis est revenue…voilée. Quel n’a pas été mon choc de voir la fille la plus sexy de l’étage couvrir ses longs cheveux si soigneusement teints et lissés. Elle qui était toujours perchée sur des hauts escarpins ou sur des bottes lacées, toujours très apprêtée, bien maquillée, les vêtements ajustés, à tel point que je me suis longtemps demandée comment elle faisait dans la rue pour ne pas subir le regard et les injures qui sont le lot de filles d’apparence beaucoup plus sage… Tout s’est ensuite éclairé quand j’ai su qu’elle ne se déplaçait qu’en voiture. Quand on marche dans la rue, on a en effet l’impression que 90% ou plus des femmes sont voilées (sachant que l’Egypte compte 10% de chrétiens, ça ne laisse pas beaucoup d’exceptions pour les musulmanes !). En réalité, je pense que cette proportion est moindre, de l’ordre de 80% peut-être, mais le fait est que l’on voit peu de « non voilées » dans la rue. On peut les croiser en revanche plus facilement parmi le personnel de la Bibliotheca (composé de jeunes femmes diplômées et de milieu plutôt favorisé) ou encore dans les lieux branchés au Caire ou d'ailleurs. La raison est simple : si on a les moyens, on se préserve des regards populaires masculins, et on se déplace en voiture. Certes tout ce raisonnement tient sur l’hypothèse selon laquelle plus on monte dans l’échelle sociale égyptienne, moins les femmes sont voilées. Je n’ai pas de statistiques à l’appui, et le voile est de toutes façons présent dans toutes les couches de cette société très religieuse, mais il est tout de même impressionnant de voir comment dans certains endroits hype destinés à la jeunesse dorée, on ne croise pas une seule fille voilée.

Pour en revenir à Hanaa, son mari serait à l'origine de cette décision. Mais cela me paraît complètement en décalage avec la coquetterie de cette dernière et son style sexy… Pourquoi se renier à ce point ? Même si bien sûr, ce « voilage » post-mariage est ici très normal ; on a aussi la variante post-fiançailles, ou post-pèlerinage. Le geste de Vénus en revanche, une autre de mes collègues, me paraissait beaucoup plus en accord avec elle-même ; cette « déesse » en pleine force de l’âge, aux formes généreuses, amatrice de talons compensés et d’autres coquetteries peu assorties avec le higab* s’est « dévoilée » un beau jour il y a de cela quelques mois… Une fois encore, cela n’a pas été sans quelques remous, puisqu’on s’est offusqué qu’une femme rangée, mère de deux enfants se dévoile comme ça soudainement, comme poussée par un caprice de jeune fille. On s’est moqué d’elle, aussi, au point qu’elle a trouvé peu de regards bienveillants ou d’encouragements ou même seulement de compliments sur sa chevelure enfin dévoilée. Comme je l’ai déjà dit, le port du voile articule de façon complexe la norme sociale et la question du choix personnel, mais plus qu’une prescription divine absolue il est avant tout une mode – même religieuse – et qui accompagne la montée de l’idéologie islamiste qui progresse toujours plus en Egypte et dans d’autres pays musulmans. Farouk Hosni, le ministre égyptien de la culture a d’ailleurs eu des déboires avec les Frères Musulmans* qui se sont offusqués de propos qu’il avait tenu de façon informelle sur le voile : « Nous avons connu une époque où nos mères fréquentaient les universités et les lieux de travail sans être voilées. C’est dans cet esprit que nous avons grandi. Pourquoi donc ce retour en arrière aujourd’hui ? »


* hijab (ou higab en égyptien) : le voile musulman

* Organisation islamiste créé dans les années 1920 en Egypte, longtemps interdite, elle est aujourd’hui tolérée et possède une importante représentation au Parlement égyptien.

15/11/2006

Souvenir du Ramadan

Des milliers d’hommes. Une véritable armée disciplinée, alignée en rangs face à moi. Telle est la vision impressionnante qu’a offerte la rue en bas de chez moi tous les soirs du mois sacré, celui de Ramadan. Mon immeuble se trouve à deux blocs de la mosquée Brahim, mosquée de taille moyenne du centre-ville mais très connue et extrêmement populaire au moment du Ramadan. La raison principale en est son cheikh, très réputé pour sa grande piété et sa belle voix, qui d’une façon très lancinante mais très mélodieuse, récite le Coran inlassablement. Alors pendant le Ramadan, où les musulmans se font plus musulmans, et les prières plus suivies, les murs de la mosquée se font trop étroits pour accueillir tous les fidèles. La rue de la mosquée Brahim, ma rue, se couvre alors de tapis et d’hommes alignés de bout en bout, sans compter toutes les rues adjacentes, et un grand espace réservé aux femmes, derrière de grandes tentures colorées.
Cette année a battu tous les records d’affluence, grâce aussi à la mise en place de grands tapis dans toute la rue, de haut-parleurs tout le long pour porter loin la voix du cheikh et même d’un service de sécurité pour fermer la rue… C’est aussi que les masses égyptiennes, qu’on le veuille ou non, deviennent chaque année un peu plus religieuses… Si tant d’affluence, dans une atmosphère d’intense recueillement et de ferveur forme un spectacle hallucinant, cela devient vite un cauchemar quand on est une fille et qu’il s’agit de rentrer et sortir de chez soi le plus naturellement du monde… Pour sortir - une armée d’hommes droits face à soi, jusqu’au seuil même de la porte de l’immeuble, et des organisateurs qui vous crient dessus pour vous enjoindre de gagner au plus vite la corniche. Pour rentrer - les volontaires du service de sécurité qui vous barrent le passage, et il faut alors négocier pour dire qu’on habite ici et qu’on n’a pas d’autre choix que de passer par là. Reste encore à traverser ces rangées d’hommes : le meilleur moment est quand ils sont debout, recueillis les yeux fermés, le pire est celui où ils écoutent le prêche, assis à bader les mouches (et nous au passage).
La prière la plus suivie, celle de la nuit du destin qui commémore la descente du Coran à Mahomet aurait rassemblé près de 60 000 personnes à la mosquée Brahim cette année. Hamdulillah, je me trouvais loin d’Alexandrie ce soir-là…

3.wav 3 minutes de prière (son enregistré depuis le balcon)

19/03/2006

L’une voilée, l’autre pas*

Les voiles de ces demoiselles me fascinent. D’abord pour des questions de mode et d’esthétisme, (mais ça, j’en parlerai une autre fois, photos à l’appui), mais surtout, pour l’articulation complexe entre norme sociale d’un côté, et choix personnel de l’autre. Cela dit, c’est quand même plus intéressant quand elles les enlèvent… l’autre jour, j’ai vu Radwa sans son voile, en privé bien sûr, mais ça fait son petit effet ! Ca la change complètement, elle fait alors beaucoup plus jeune et j’ai pu découvrir ses fins cheveux bouclés. Autre événement, une petite nana de l’étage est arrivée un jour sans son voile, mais elle définitivement. Son supérieur était choqué paraît-il, et bien sûr certaines filles n’ont pas manqué de la sermonner et de tenter de la raisonner, mais d’autres prennent ça naturellement, elle n’était pas assez « convaincue » par le voile voilà tout, sans que cela veuille dire pour autant qu’elle ne soit pas musulmane. Mais la conversion se passe surtout dans l’autre sens, Radwa par exemple n’a décidé de le porter qu’il y a trois ans, la vingtaine passée. C’est une décision assez rude au début mais après dit-elle cela devient totalement naturel, c’est comme de mettre ses chaussures avant de partir. Certes, ce sont des choix personnels, mais étant donné la proportion écrasante de filles qui le portent, quand on est musulmane, la décision courageuse c’est plutôt de persister à ne pas le porter. Et beaucoup parmi ces « rebelles » envisagent sérieusement de le porter un jour… Il n’empêche que ça me fait toujours bizarre d’entendre Chaymaa dire « quand je porterai le foulard »…

* J’emprunte ce titre à Dounia Bouzar et Saïda Kada, L’une voilée, l’autre pas, Albin Michel.