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12/04/2008

Belle comme la lune

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Jamais dans ma vie je n’ai autant vu la lune qu’en Egypte, et jamais je ne l’ai vue aussi belle.
J’aime à la contempler, pleine et lourde sur l’horizon, rousse et hypnotique au milieu des hauteurs urbaines ou un croissant mince et tranchant comme une lame. Cette apparence chaque nuit renouvelée me fait l’effet d’une coquetterie de sa part ou d’un plaisir malicieux à surprendre agréablement ses fidèles spectateurs. Le soir en rentrant à la maison alors que la nuit est déjà tombée, je la suis du regard et j’aime à imaginer qu’elle guide mes pas comme un totem. Quand son croissant s’accroche au-dessus de la presqu’île d’Anfushi, il me semble qu’elle berce la baie de sa douce inclinaison.
J’en suis venue à me demander pour quelle raison je vois autant la lune ici alors que jusqu’alors elle n’avait que peu attiré mon attention. Est-ce la vue dégagée que m’offre matin et soir mon balcon sur la baie alors qu’en France je n’ai pour tout spectacle quotidien que la vue des toits ou le vis-à-vis avec les voisins ? Ou est-ce plutôt que la clémence du temps égyptien offre plus de nuits sans nuage où la lune est seule reine dans le ciel ? Quant à sa lumineuse beauté, est-ce que la lune apparaît à ces latitudes plus proche et plus brillante, ce qui expliquerait aussi pourquoi la lune a acquis ici une présence symbolique bien plus grande dans la culture et l’inconscient collectif que chez nous? L’islam, religion fille du désert arabique, des nuits bédouines sous le ciel étoilé, ne s’est-il pas choisi pour symbole un croissant de lune ? Croissant d’ailleurs repris comme symbole sur certains drapeaux de pays musulmans de la région ? Et en poussant le raisonnement plus loin, j’en viens à me demander si la civilisation orientale ne serait-elle pas plus attachée à la lune tandis que l’occident attribuerait un rôle symbolique plus important au soleil ? « Civilisation de la lune » à l’Est et « civilisation du soleil » à l’Ouest? Après tout, l’hégire, le calendrier musulman, se base sur des mois lunaires alors que notre calendrier grégorien est un calendrier solaire. Jusque dans la langue, la lune est synonyme de beauté en arabe ; on peut ainsi utiliser la lune, al-amar, (al-qamar en arabe classique) comme comparatif à la beauté d’une jeune femme (gamila zayy el-amar = « belle comme la lune ») ou encore plus couramment et simplement ya amar pour appeler affectueusement une proche, comme on dirait « ma jolie ». Alors, qu’en français par exemple, ne dirait-on pas plus facilement d’une personne qu’on aime qu’elle est un soleil ?
Je suis consciente que cette démonstration ne tient pas sur grand-chose de tangible et qu’elle est peut-être complètement fantaisiste. D’ailleurs le soleil joue également un rôle symbolique important dans l’islam à commencer par son lever et son coucher et ses différentes positions dans la journée qui rythme et détermine les heures des différentes prières. Mais cette idée selon laquelle le peuple d’Orient aurait une affection plus particulière pour la lune a l’avantage de me séduire et j’aime à y penser quand la lune me fait le petit plaisir de m’apparaître au détour d’un regard sur la ville...
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27/04/2007

Phare(s)

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Parfois des gens qui ne connaissent pas Alexandrie m’interrogent naïvement sur son Phare. Je réponds, un peu gênée de faire remarquer son ignorance à mon interlocuteur, que c’est un phare mythique justement parce qu’il n’existe plus, qu’il a été détruit il y a bien longtemps par des tremblements de terre…
Mais après tout… il y a bel et bien un phare à Alexandrie, je le vois toutes les nuits depuis la fenêtre de ma chambre, enfin plutôt sa lumière qui tournoie à intervalle régulier. Son faisceau de douce lumière, estompée par la distance, traverse ma chambre toutes les poignées de seconde. Quand je m’approche des volets entrouverts, j’ai parfois l’impression qu’il me fait un clin d’œil, comme si quelqu’un tout d’un coup pensait à moi et me faisait un petit signe. C’est que le port de marchandises est là tout proche, juste derrière le port de pêche et la mince bande de terre de la presqu’île d’Anfushi.
Et puis il y a aussi l’élégant petit phare miniature des jardins de Montaza, qui est là on dirait juste pour faire joli, pour démontrer aux promeneurs du parc qu’Alexandrie a bel et bien son phare… Le Pharos, le seul, le vrai, celui qui a fait la gloire d’Alexandrie, l’une des Sept Merveilles du Monde Antique avec sa statue de Poséidon (ou d’un autre dieu) et des tritons ailés, celui qui a donné son nom à tous les phares construits par la suite, gît au fond de l’eau, éparpillé en d’innombrables blocs de pierre énormes, au pied du fort de Qaït Bey… Jean-Yves Empereur –et d’autres– nourrit le projet de remonter la porte du Phare, dont les principaux éléments monumentaux ont été identifiés sous l’eau par son équipe d’archéologues, et de la reconstituer sur la presqu’île de Silsilah (en face de la Bibliotheca) pour que le public puisse venir l’admirer. Alors enfin, je pourrai répondre aux curieux ignorants que le monument phare d’Alexandrie est bel et bien debout.

28/03/2006

Fatima

Cela a très mal commencé entre nous. Elle avait la mauvaise idée de venir le samedi matin avant même 8h pour faire le ménage. Mais surtout, elle avait une manière de tambouriner à la porte d’une violence inouïe, une agression qui me tirait malgré moi du lit, et cela toutes les semaines car malgré son vacarme, il n’y avait que moi pour l’entendre et venir lui ouvrir dans la maison endormie. Je ne comprenais pas comment une femme sans défense, surtout de son âge, avait une telle violence en elle pour pouvoir s’acharner comme ça sur une porte. Même une fois bel et bien réveillée, sa façon de parler continuait de m’agresser ; il se trouve qu’elle a tout le temps l’air de crier et d’être en colère.

Finalement, nos relations se sont beaucoup améliorées. On a trouvé un terrain d’entente : à présent elle vient un matin en semaine, ou bien le samedi pas avant midi ! En repartant ainsi sur de bonnes bases, j’ai découvert une vraie brave femme et un personnage hors du commun. Ne serait-ce que le fait de parler en espagnol en Egypte avec sa femme de ménage trilingue, ça étonne pas mal de monde… C’est qu’en réalité elle est Marocaine, ayant vécu un peu en France et dix ans à Madrid, où elle a rencontré son Egyptien de mari qui l’a ramené à Alexandrie et lui a fait deux enfants gâtés. Depuis le décès du chef de famille, elle travaille dur dans des ménages sous-payés pour faire vivre sa famille et constituer à la force du poignet le trousseau de sa fille. Depuis qu’elle sait que je parle espagnol, elle me parle systématiquement dans cette langue, parce que dit-elle, elle préfère mucho más hablar en español. Son espagnol madrilène lui a d’ailleurs valu de se faire embaucher comme cuisinière/femme de ménage au service du Consul Espagnol.

A présent que les histoires de grasse mat’ sacrifiées par des poings rageurs sur la porte sont terminées, on papote cuisine, des briouats au miel, du Maroc, de sa vie. Elle aime à critiquer l’Egypte, répéter que c’est plus sale et moins beau que son Maroc perdu. Elle aime à dire qu’elle a tout vécu, qu’elle a bien profité, et qu’elle a eu autant de fiancés que de cheveux sur la tête - quand elle était en Europe bien sûr, parce qu’aujourd’hui, c’est un voile blanc qui est sur sa tête. Bref, c’est une bonne pâte attachante, même si malheureusement ses accès de violence – ou peut-être d’énergie - ressurgissent parfois contre mon pauvre chaton qui s’est oublié sur le balcon… porque hay que educarlo de pequeño !