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24/06/2008

De la démocratie... en Egypte

9b2267578ba50582f2d6a02d574a04a0.jpg6 Avril Grève Générale du Peuple Egyptien
En bas de l'affiche: "premier mouvement populaire, pacifique, organisé par toutes les couches du peuple égyptien"






L’Egypte n’est pas une démocratie. Qu’on se le dise, on a tendance à l’oublier, nous étrangers, moins exposés à la répression et habitués à dire ce que l’on pense tout haut sans conséquence. En Syrie, la dictature et le culte de la personnalité sont plus palpables, la présence militaire plus etouffante, les « moukhabarat » (services de renseignement intérieur chargés d’espionner la population) à tous les coins de rue, et les portraits du Président Bachar Al-Assad omniprésents. Dans ces conditions, mieux vaut ne pas se risquer à dire quoi que ce soit, même dans une langue étrangère, on ne sait jamais. Mais en Egypte, les Egyptiens eux-mêmes ne cessent de faire des blagues sur Moubarak, alors on rie avec eux et on plaisante à notre tour, quelque peu insouciants de la situation politique… Car la liberté d’expression est pourtant loin, très loin, d’être totale. S’il y a quelques marges de liberté – en tous cas plus qu’en Syrie – qui permettent non seulement de faire des blagues, d’avoir une presse d’opposition, et une société civile relativement vivante, il y a clairement des limites à ne surtout pas franchir. Ibrahim Eissa, rédacteur en chef du journal d’opposition « Al-Dostour » le sait à ses dépens, lui qui est un habitué des procès pour atteinte aux intérêts de l’état et qui a été condamné en mars dernier à 6 mois de prison pour avoir fait état dans son journal des rumeurs qui circulaient sur l’état de santé du Président. Et puis on sait que l’opposant politique Ayman Nour qui a eu l’audace – que dis-je, le « culot » – de se présenter aux dernières élections présidentielles contre Moubarak (sans lui faire toutefois de l’ombre, il n’a récolté que 7,6% des voix contre plus de 88% pour Moubarak), est en prison depuis deux ans, officiellement pour une histoire de falsification de documents nécessaires à l’agrément de son parti. La routine. On déplore cette situation politique autoritaire et arbitraire mais en même temps on ne peut pas s’empêcher de penser qu’elle a l’avantage indéniable de maintenir la stabilité du pays contre la menace islamiste venue des Frères Musulmans, première force d’opposition du pays. Ils sont d’ailleurs les premiers à subir la répression du régime : interdiction de se constituer en parti (ils se présentent d’ailleurs aux élections parlementaires et locales sous étiquette « indépendant »), rafles régulières sous forme d’arrestations massives, en particulier avant les élections, etc., etc…

Mais quand un mouvement complètement citoyen, venu du peuple égyptien, se fait soudain jour, appelant à un jour de grève générale pour protester contre les hausses de prix et la politique menée dans le pays, deux jours avant des élections municipales faussées d’avance, on ne peut pas s’empêcher de s’identifier et de se sentir concerné. Surtout que cet appel a beaucoup circulé de façon informelle par SMS et par Internet, en particulier sur Facebook (le groupe « 6 avril – grève générale » rassemble plus de 70000 personnes) et a touché particulièrement les jeunes et les étudiants. Et puis, il y avait une vraie effervescence, le sujet de la grève était sur toutes les lèvres, tout le monde se demandait ce qui allait se passer, imaginez, la première grève générale depuis des décennies !


Or voici ce qui s’est passé, voilà la réponse du régime à sa jeunesse qui rêve de changer son pays, à tous ses travailleurs qui n’arrivent plus à finir le mois et à nourrir leur famille devant la hausse des prix… La réponse ne s’est guère faite attendre : un pays bouclé par les services de sécurité spéciaux égyptiens (l’équivalent de nos CRS, en guère plus sympathiques) et des arrestations tout azimut. Le gouvernement a pris très au sérieux cet appel à la grève et s’est bien gardé de laisser une quelconque marge de manœuvre à d’éventuels manifestants. Alors certes, ce jour-là l’activité économique et commerciale était plus calme qu’à l’accoutumée dans les centres-villes mais difficile de dire si c’était en raison du suivi du mouvement de grève ou par peur d’éventuels événements. Et puis s’il y a bien eu tentative ou ébauche de manifestation sur les grandes places au Caire, à Mansheya à Alexandrie, ou à l’Université du Caire, les intrépides ont rapidement subi les représailles de la police anti-émeutes. Avec cette réponse quelque peu radicale, aucun risque de mouvement de protestation d’envergure, avec « quatre policiers pour un manifestant » (1), difficile de faire le poids ! Les arrestations ont aussi frappé ce jour-là et les jours suivants toutes les personnes suspectées d’avoir participé à initier le mouvement, dont Georges Ishaq, un des leaders du mouvement d’opposition « Kefaya » (ça suffit) et la malheureuse Israa Abdel Fatah, créatrice du groupe Facebook « 6 avril ». Vue de France, « pays de la grève », aux innombrables jours de mouvements sociaux chaque année, difficile d’imaginer que puisse être renié ce droit aussi fondamental que celui d’exprimer son mécontentement… C’est qu’on a tendance à oublier – aussi – que l’Egypte est sous la loi de l’état d’urgence depuis 1981, décrété par Moubarak au lendemain de sa prise de fonction suite à l’assassinat de Sadate. Utilisé comme véritable instrument de répression politique, l’état d’urgence a permis au régime de légitimer la violence de l’état, justifiant des mesures telles que l’interdiction des rassemblements publics et le recours éventuel à des tribunaux militaires pour des cas de « troubles de l’ordre public ».

Finalement, les seules réelles manifestations de la journée ont eu lieu à Mahallat el-Kobra, grande ville de l’industrie textile où couvait déjà depuis un certain temps une crise sociale. Dans ce climat tendu, l’appel à la grève du 6 avril a quant à lui dégénéré en graves émeutes pendant deux jours qui ont fait deux morts et plusieurs centaines de blessés, et bien sûr son lot d’arrestations, dont des journalistes qui ont eu l’affront de vouloir en témoigner…
Quant à Israa, la « fille de facebook », devenue la pasionaria du mouvement dans les médias, elle a été emprisonnée 18 jours avant d’être relâchée. A sa sortie, elle s’est dite « repentie », ne voulant pas participer à un nouveau mouvement de grève. Sa famille a annoncé qu’ils allaient se débarrasser de l’ordinateur car Israa n’en aurait plus rien à faire… (2) Sic. On se demande bien à quel lavage de cerveau Israa a été soumis pendant sa détention pour renoncer aussi rapidement à ses idées…
Malgré tout, le mouvement a eu l’avantage de faire parler de lui et les « motivés » du 6 avril n’ont pas tardé à annoncer un nouvel appel à la grève pour le 4 mai, jour de l’anniversaire de Moubarak qui fêtait cette année pas moins de 80 printemps. Histoire de rebondir sur cette ébauche de révolte populaire, tout de même porteuse d’espoir… Car il y en a qui continuent à se battre ; comme Ibrahim Eissa d’el-Dostour, le blogueur Kareem Amer qui dénonce régulièrement les tortures commises dans les commissariats et les atteintes aux droits de l’homme, ainsi que tous les autres blogueurs politiques qui font régulièrement des séjours en prison... Mais si ces cas de lutte politique ne font que peu réagir la grande masse des Egyptiens, le manque de pain et des produits de base, la lutte pour la survie et pour lier les deux bouts au quotidien, ont bien, eux, la capacité de jeter les Egyptiens dans la rue, faute de perspective d’avenir.
Mais en fin tacticien, Moubarak a voulu éviter tout remous et a coupé l’herbe sous le pied de toutes les revendications, en annonçant le samedi 3 mai, veille de l’appel à la grève, une mesure très populaire de hausse des salaires des fonctionnaires de 30%. Seulement voilà, à ceux qui se réjouiraient que le chef de cet état tout-puissant ait finalement satisfait les revendications de son peuple : à peine le jour de la grève passé sans aucune velléité protestataire, dans la nuit du dimanche au lundi 5 mai, le gouvernement procédait à une hausse sans précédent du prix des carburants et du tabac, jusqu’à 40% de hausse pour certains carburants. Il fallait bien financer d’une façon ou d’une autre l’augmentation salariale promise. Que cela relance l’inflation de plus belle et annule tout le bénéfice obtenu par la hausse des salaires n’a pas vraiment d’importance, tant que la grève annoncée n’a pas eu lieu et que les apparences sont sauves…
Inimaginable ? Et bien non, cela s’est bel et bien passé comme ça, « démocratiquement ».

(1) Daprès le magazine Alif
(2) Cf. « Le Petit Journal du Caire »


Post-scriptum : Près d’un mois et demi après, la situation ne s’est guère améliorée, les prix sont toujours au plus haut, l’état d’urgence a été prolongé – une fois de plus – pour deux ans (alors même que sa levée était une des promesses électorales de Moubarak lors des dernières élections présidentielles), mais bizarrement, plus personne ne songe à manifester…

00:20 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0)

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