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31/01/2007

L'une voilée, l'autre pas (2)

Hanaa s’est mariée le premier jour de l’aïd, a bien profité de sa lune de miel, puis est revenue…voilée. Quel n’a pas été mon choc de voir la fille la plus sexy de l’étage couvrir ses longs cheveux si soigneusement teints et lissés. Elle qui était toujours perchée sur des hauts escarpins ou sur des bottes lacées, toujours très apprêtée, bien maquillée, les vêtements ajustés, à tel point que je me suis longtemps demandée comment elle faisait dans la rue pour ne pas subir le regard et les injures qui sont le lot de filles d’apparence beaucoup plus sage… Tout s’est ensuite éclairé quand j’ai su qu’elle ne se déplaçait qu’en voiture. Quand on marche dans la rue, on a en effet l’impression que 90% ou plus des femmes sont voilées (sachant que l’Egypte compte 10% de chrétiens, ça ne laisse pas beaucoup d’exceptions pour les musulmanes !). En réalité, je pense que cette proportion est moindre, de l’ordre de 80% peut-être, mais le fait est que l’on voit peu de « non voilées » dans la rue. On peut les croiser en revanche plus facilement parmi le personnel de la Bibliotheca (composé de jeunes femmes diplômées et de milieu plutôt favorisé) ou encore dans les lieux branchés au Caire ou d'ailleurs. La raison est simple : si on a les moyens, on se préserve des regards populaires masculins, et on se déplace en voiture. Certes tout ce raisonnement tient sur l’hypothèse selon laquelle plus on monte dans l’échelle sociale égyptienne, moins les femmes sont voilées. Je n’ai pas de statistiques à l’appui, et le voile est de toutes façons présent dans toutes les couches de cette société très religieuse, mais il est tout de même impressionnant de voir comment dans certains endroits hype destinés à la jeunesse dorée, on ne croise pas une seule fille voilée.

Pour en revenir à Hanaa, son mari serait à l'origine de cette décision. Mais cela me paraît complètement en décalage avec la coquetterie de cette dernière et son style sexy… Pourquoi se renier à ce point ? Même si bien sûr, ce « voilage » post-mariage est ici très normal ; on a aussi la variante post-fiançailles, ou post-pèlerinage. Le geste de Vénus en revanche, une autre de mes collègues, me paraissait beaucoup plus en accord avec elle-même ; cette « déesse » en pleine force de l’âge, aux formes généreuses, amatrice de talons compensés et d’autres coquetteries peu assorties avec le higab* s’est « dévoilée » un beau jour il y a de cela quelques mois… Une fois encore, cela n’a pas été sans quelques remous, puisqu’on s’est offusqué qu’une femme rangée, mère de deux enfants se dévoile comme ça soudainement, comme poussée par un caprice de jeune fille. On s’est moqué d’elle, aussi, au point qu’elle a trouvé peu de regards bienveillants ou d’encouragements ou même seulement de compliments sur sa chevelure enfin dévoilée. Comme je l’ai déjà dit, le port du voile articule de façon complexe la norme sociale et la question du choix personnel, mais plus qu’une prescription divine absolue il est avant tout une mode – même religieuse – et qui accompagne la montée de l’idéologie islamiste qui progresse toujours plus en Egypte et dans d’autres pays musulmans. Farouk Hosni, le ministre égyptien de la culture a d’ailleurs eu des déboires avec les Frères Musulmans* qui se sont offusqués de propos qu’il avait tenu de façon informelle sur le voile : « Nous avons connu une époque où nos mères fréquentaient les universités et les lieux de travail sans être voilées. C’est dans cet esprit que nous avons grandi. Pourquoi donc ce retour en arrière aujourd’hui ? »


* hijab (ou higab en égyptien) : le voile musulman

* Organisation islamiste créé dans les années 1920 en Egypte, longtemps interdite, elle est aujourd’hui tolérée et possède une importante représentation au Parlement égyptien.

20/01/2007

Tempête

Aujourd’hui la tempête a soufflé toute la journée, la vraie tempête d’hiver alexandrine, avec son lot de pluie battante et de vent. Alors que j’essaye de me barricader perchée au 10ème étage, recevant de plein fouet le déchaînement des éléments venus de la mer, un bruit sourd et ininterrompu gronde à l’extérieur et bat contre les murs et les volets comme si c’était à mes tempes. Toutes les fenêtres tremblent et menacent de céder sous la force du vent…

Malgré les caprices du temps, les vrais Alexandrins préfèrent leur ville l’hiver, plus douce débarrassée de sa foule d’estivants cairotes envahissants, mais aussi plus belle. La lumière, la mer, chaque journée d’hiver apporte une nouvelle palette de couleurs et des couchers de soleil flamboyants. Quant à la baie, elle est comme toute entière en mouvement suivant le sens des vents et des courants changeants. Au contraire l’été, la mer s’étend placide dans l’écrin légèrement brumeux du port Est, désespérément calme, comme alanguie par la moiteur de la chaleur. De même, le bleu d’été de la mer reste uniforme, sans éclat, comme éteint le temps d’une saison.

La tempête tape et peste toujours à l’extérieur et même si le vent froid s’infiltre à l’intérieur des pièces et en nous-même, nous rendant plus vulnérables, le déchaînement de la tempête donne le sentiment fugace de vivre plus intensément. Car si le temps est une humeur, je préfère la colère insatiable de la tempête que la tristesse maussade de la grisaille d’autres hivers.

10/01/2007

First Lady

Aujourd’hui fut une rentrée de vacances en fanfare, puisque la First Lady herself, Son Excellence Mme Suzanne Mubarak, nous faisait l’honneur de sa présence à la Bibliothèque… Madame est présidente du Conseil d’Administration de la Bibliotheca Alexandrina, il est donc bien naturel qu’à ce titre, elle nous rende une petite visite et qu’elle assiste à quelques réunions de temps en temps. Seulement voilà, ces visites officielles n’ont absolument rien de sympathique ni de bon enfant, cela vire plutôt au délire sécuritaire. C’est en effet une bibliothèque en état de siège que j’ai trouvée ce matin, avec tireurs d’élite postés sur les toits aux alentours, interdiction de traverser la Plaza, et sécurité présidentielle déployée à l’entrée. Ce qui veut dire que l’entrée du personnel a été impraticable pendant près d’une heure, puis quand cela s’est enfin débloqué, ils ont laissé entrer le personnel au compte-goutte, avec présentation du badge plus une pièce d’identité, passage au détecteur de métaux, fouille du sac, et refoulement si on a le malheur d’avoir un téléphone portable sur soi, ce qui est le cas d’à peu près…tout le monde. C’est vrai que je comptais bien sûr m’en servir pour activer à distance les détonateurs des bombes planquées un peu partout, j’avais oublié… Et la veille, les services de sécurité avaient fait savoir au personnel de ne pas fermer à clef les armoires à la fin de la journée, car sinon ils défonceraient le verrou pour en vérifier le contenu ; il est vrai que toutes nos armoires sont les cachettes idéales de ces bombes contrôlées à distance par nos téléphones portables, mais où avais-je la tête. Je vous laisse imaginer l’ambiance et la bonne humeur qui régnait pour permettre aux 1600 salariés de pénétrer dans ce bunker, eux qui demandaient seulement à rejoindre leur poste de travail. Au moins lors des dernières visites du Président Mubarak ou de « Madame », ils fermaient carrément la Bibliothèque au public comme au personnel (donnant congé à tout le monde), ce qui était ma foi plus agréable. Mais le plus pathétique est de m’imaginer ce couple présidentiel, enfermé dans sa paranoïa, bardé de gardes du corps, étouffé par les consignes de sécurité, et qui en vient à considérer tout son peuple comme des terroristes en puissance...